dimanche 20 janvier 2008

asphalte

Maquinchao. Accumulation de bâtisses poussiéreuses posées sur un plateau désertique, en plein centre de la province de Rio Negro, au nord de la Patagonie. Destination choisie au hasard sur la carte, avec assez peu de réussite, probablement: il n'y a rien, rien que des tourbillons verticaux de vent et de sables et des vols succints de sacs en plastique; parfois, un chien ou un cycliste léthargique traverse au ralenti une rue innondée de chaleur. En descendant du bus, aux alentours de minuit moins le quart, le chauffeur me demande sans conviction: - tu es sûr que tu descends ici? Je hoche la tête et cherche du regard, parmi les ombres naissantes de cette nuit déjà si inhospitalière, le chaffeur de taxi qui, au téléphone, a promis de me conduire à un hébergement. Après quelques minutes d'enquête angoissée, je découvre un gauchito ventripotent, peletonné dans l'obcurité, protégé du vent par son taxi rouillé et par un béret vissé sur son front plissé, une large ceinture de laine, de vieilles espadrilles rescapées d'un combat avec l'usure et la terre. Et il faut admettre que, durant le trajet qui me charrie dans l'unique pension du village désolé, et même le lendemain, lorsque j'arpente à moitié ahuri les cinq interminables avenues terrassées par le silence et la solitude, il faut bien admettre que s'écoule en moi une sorte de courant contradictoire, théâtre d'un affrontement presque fratricide entre un sentiment d'exaltation affolé découlant de cette modeste excursion initiatique, et l'impression banale et néanmoins intense d'absurdité qui accompagne inévitablement toute quête de sens, conrant contradictoire que je parviens d'ailleurs, au terme d'une profonde respiration, à synthétiser par une question presque ascétique de simplicité: mais qu'est ce que je fais là?
Maquinchao est enfilé comme une perle de laine usée sur le long collier sinueux que constitue la ligne du Tren Patagonico, installé par les anglais au milieu des annés 1950 (selon une source orale que je ne saurais mettre en doute pour l'instant). Même si la ligne de chemin de fer n'est plus ce qu'elle était jadis (mais a-t-elle jamais été quelque chose ?), la relative désolation du village de Maquinchao (et, par extension, des aglomérations du plateau de Rio Negro) provient plutôt du fait, à mon sens, que l'unique route qui traverse le pays d'ouest en est à cette hauteur est dépourvue d'asphalte. Ce qui signifie, très concrètement, que l'unique autobus reliant San Carlos de Bariloche, au pied de la cordillère, à la ville de Viedma, collée au littoral atlantique, est forcé de cahoter durant plus de 11h et plusieurs centaines de kilomètres sur une route dont la beauté sans limite est proportionnelle à l'état désastreux de son revêtement. Inaccessibilité d'une région entière, captive des épines et de la poussière; inaccessibilité qui, par ailleurs, semble également préserver, selon Juan Manuel, personnalité improbable qui vient contredire ma thèse selon laquelle les personnages merveilleux rencontrés dans les trous les plus déserts du monde n'existent que dans les livres de Chatwin ou dans les films australiens. S'ensuit donc un débat, une soirée d'étoiles, de bière et de raviolis de campagne, au sujet de l'asphalte: est-ce que le goudron qui est annoncé pour bientôt viendra sauver Maquinchao d'une lente et certaine décrépitude, ou au contraire, la nouvelle voie de communication viendra-t-elle dénaturer totalement la vie paisible de ces cyclistes léthargiques, ces gauchos au verbe rare et à la poigne généreuse, ces autoroutes du vent et du silence?