mardi 21 août 2007

les assassins




C'est probablement dans la cuisine que se trament tous les enjeux du jour: il pleut ou il ne pleut pas, il fait plutôt beau même, tiens les éboueurs sont passés plus tôt mais ils ont mal fait leur travail, il reste une botte en caotchouc sur le pavé, une grosse botte, et verte encore, ça me rappelle la pluie d'hier, et ils disent que demain ça sera pareil, pour un été quand même, et le type ou la fille qui a perdu la botte doit être un peu seul(e) maintenant, comme un orphelin ou une orpheline, et si j'avais des bottes et si les perdais comme cet orphelin ou cette orpheline je me sentirais comme eux, eux qui sont unijambistes en pleine ville à présent, et s'il pleut comme ils disent demain ils se sentiront terriblement seuls et désemparés et je ne pourrai plus regarder la botte en face parce qu'alors toute la ville me semblera unijambiste et tous les éboueurs seront comme des assasins. Peut-être que demain, je m'épargnerai de jeter un coup d'oeil au bas de ma fenêtre.

l'éveil

Dans la rue il y a une quirielle d'enfants et tous sont habillés, pour une occasion que j'ignore mais que je constate, en produits comestibles. La petite fille qui s'appelle Lisa (ils crient "Lisa, Lisa") est déguisée en jambon à l'os.
Je ne me souviens pas de la dernière fois que j'ai vu autant d'enfants réunis. Peut-être à la crêche. Peut-être le jour où je suis allé, malencontreusement, à la première communion de mon cousin.
Je suis heureux de voir Lisa-jambon et ses enfants pot-au-feu plutôt que Roberto et ses oreillettes.

mardi 7 août 2007

Journal mural

Recensement des banderolles déployées sur les façades de mon quartier contre l'évacuation du squatt de La Tour, en face de chez moi:
"Des gens vivent à La Tour"
"La Tour ne tombera pas"
"Du bruit pour La Tour"
"No futour?"
Le squatt est évacué. Prennent place à l'intérieur une entreprise de bâtiment et des déménageurs, la journeé, puis la nuit, une agence de sécurité qui porte le nom de GPA.
L'arrivée de ces nouveaux voisins provoque l'apparition d'une nouvelle banderolle :
"GPA. Faut vraiment être con pour faire un métier pareil".

Roberto au travail

Je vois souvent Roberto. Roberto, c'est mon ami l'agent de police qui s'habille en motard pour, je suppose, passer inaperçu parmi les masses de motards qui sillonnent mon quartier (mais on m'a dit récemment que non, que Roberto était vraiment motard, même en dehors de son service), et je distingue Roberto très souvent ces derniers jours, étant donné du fait que la municipalité s'est lancée dans une grande opération de nettoyage et que lui, c'est visible, accorde une attention particulière à cette initiative, il est même le premier à commenter dans son oreillette la sortie fracassante des occupants du squatt du coin de la rue qui, il faut le dire, sont traités avec une délicatesse relative, et lorsque j'aperçois Roberto depuis ma fenêtre je lui lance un petit sourire mignon et je me penche sur le rebord qui pourrait accuellir des génariums ou un basilic épanoui mais qui, malheureusement, n'est modestement décoré que par les déchets décomposés d'un pinceau à gros poils, et là, dans cette position dévouée, je lui fais un signe charmeur du revers de la main comme, je dirais, une femme de militaire en plein départ, mais Roberto, évidemment, ne répond pas à mes manifestations sentimentales.

les étudiants

De ma fenêtre on distingue un café que souvent je déteste à cause du bruit, la nuit, de tous ces types et ces filles de mon âge qui sont bien comme il faut toute toute la journée mais qui, le soir venu, viennent s'agglutiner très loin de chez eux autour d'un shot de vodka à une thune et vocifèrent et chantonnent comme une parade scout, et parfois certains finissent même par réussir à se vomir sur leur propres cheveux, ce qui, je l'admets, est une performance.
Ce matin, je lis sur la terrasse du café d'en face et un type qui sent l'alcool s'approche et me demande pourquoi je lis. Parce que je suis étudiant, je lui réponds, un peucoupable. Il dit que je parle comme un président, comme ces présidents qui parlent au peuple avec des mots incompréhensibles. Et puis il me dit: et les filles? ça va? Les filles c'est mieux que les livres, il me dit.
Je lui réponds oui, les filles, c'est mieux. Mais je ne suis pas étudiant en filles.

vendredi 3 août 2007

l'oblique

Sur le trottoir d’en face, un passant éclairé par la rue transversale, un rayon oblique traverse l’avenue, s’écrase contre le mur et sur le passant d’en face.
Lumière qui frôle comme une main au matin, douloureuse et moite, le visage de l’absent, qui erre, qui s’éveille, qui s’oublie, le temps passe on travaille pense au printemps prochain et il s’oublie, nettement, s’efface et reste au lit, une balle de poussière dans le coin d’une chambre.
La rue est là et la lumière est oblique, le passant s’apprête à passer, bouche ouverte, bouche bée, à l’orange d’un bout de cheminée, et dans la chambre froide, la poussière à peine dissipée, de la lumière du dehors qui tape à l’oblique se dessine, silencieux, un reflet d’eau et de briques.

première fenetre


C'était l'hiver. Le matin, depuis la cuisine ou depuis ma chambre, il fallait bien regarder par la fenêtre. J'avais décidé, tout seul, que si chacun décrivait sa vie depuis sa mansarde, si chacun se tenait devant sa fenêtre et décrivait ce dont, jour après jour, il était le témoin anonyme, que si chacun, depuis sa fenêtre, se mettait à épier et à transmettre le monde qu'il épiait en silence, j'avais décidé que si cette idée d'un millier de fenêtre épiant depuis des mansardes un rue qui leur était sous-jacente, cette idée qui me rendait moins seul, là haut perché, j'avais décidé que si cette idée prenait vie pour d'autres que moi, ce serait moins l'hiver - je souffre, l'hiver. C'était en hiver. j'ai pris une photo de la condensation de la vitre. C'était ma première fenêtre.